Lire dangereusement – Azar Nafisi

Note : 4 sur 5.

Le pouvoir subversif de la littérature en des temps troublés.
Dans cinq lettres adressées à son défunt père, ancien maire de Téhéran emprisonné par le régime du shah d’Iran, l’écrivaine explore la fiction comme arme de résistance à travers de grandes figures de la littérature, de Salman Rushdie à Margaret Atwood en passant par Zora Heale Hurston, Toni Morrison ou James Baldwin.

Avis

Les parents d’Azar Nafisi ont tous deux été très impliqués dans la vie politique iranienne. C’est aussi une famille passionnée de littérature. L’auteure, elle-même professeure d’anglais à l’université de Téhéran, s’est vue expulsée pour refus de porter le voile islamique. Elle s’est alors exilée aux Etats-Unis en 1997. Malgré la distance, elle et son père avaient l’habitude de s’écrire pour partager leur vie quotidienne, les petites joies et grands malheurs, commenter l’actualité et s’échanger des idées de lecture.

Dans ce livre, à travers cinq lettres adressées à son père décédé, dans une sorte de monologue, elle évoque le pouvoir de la littérature et montre à quel point elle peut être perçue comme un danger par les régimes totalitaires.

« Lire encourage un état d’esprit qui questionne et qui doute »

Azar Nafisi compare les deux pays qui sont les siens sur le plan politique (régime autocratique de Trump VS régime islamique iranien) mais aussi en ce qui concerne la place accordée à la littérature. Aux Etats-Unis, la culture du divertissement est vue comme un éloge de la facilité et de la superficialité au détriment de la profondeur de réflexion et les écrivains considérés comme quantité négligeable. En Iran, par contre, les poètes et écrivains sont censurés, incarcérés, torturés ou tués. C’est dire l’importance que l’on accorde à leurs écrits et à leur parole.

Elle donne notamment l’exemple des Versets sataniques de Salman Rushdie, qui a valu à plusieurs personnes d’être assassinées et à l’auteur de vivre sous protection en raison de la fatwa prononcée par l’ayatollah Khomeini, qui estime que le roman ridiculise le prophète Mahomet et l’islam. Ou comment la réalité et la fiction se télescopent.

Pour les auteurs concernés, le roman permet de dénoncer certaines pratiques ou de les mettre en lumière. La littérature de fiction est alors un véritable acte de rébellion, une marque de révolte contre le totalitarisme, les politiques contre les femmes et les minorités ou la liberté d’expression inexistante.

Azar Nafisi établit des parallèlesentre les romans et la réalité actuelle en Iran. Elle cite par exemple Ray Bradbury et son roman Fahrenheit 451 pour évoquer la cruauté et la violence dont fait preuve le régime islamique pour réprimer les manifestations et réduire ses opposants au silence, censurant notamment des livres et des auteurs.

Elle fait également une comparaison intéressante entre La servante écarlate de Margaret Atwood et la vie en Iran aujourd’hui. Les similitudes entre la République théocratique de Gilead et la République islamique d’Iran sont nombreuses, à commencer par la situation des femmes sont le corps est considéré comme propriété des hommes.

Orgueil et préjugés de Jane Austen lui permet d’aborder le pouvoir des femmes, en quête de liberté et d’indépendance tandis que L’œil le plus bleu de Toni Morrison évoque le racisme, la ségrégation et l’oppression des minorités à l’œuvre en Iran comme aux Etats-Unis.

Très attachée à son pays d’origine, l’auteure est peinée de voir ce qu’il devient. Et cet essai est le reflet de ses fortes convictions tout autant que de sa grande culture littéraire. Elle nous rappelle la portée insoupçonnée de la littérature, qui nous incite à poser un regard critique sur le monde qui nous entoure et à devenir plus libres d’une certaine manière. Avec une dernière recommandation…

« Ecrire peut évidemment avoir des conséquences pour les écrivains, les mettre en péril, mais les livres peuvent aussi être dangereux pour ceux qui les lisent »


Lire dangereusement – Azar Nafisi – Editions Zulma – 2024

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