Les gratitudes – Delphine de Vigan

Note : 5 sur 5.

« Je suis orthophoniste. Je travaille avec les mots et avec le silence. Les non-dits. Je travaille avec la honte, le secret, les regrets. Je travaille avec l’absence, les souvenirs disparus, et ceux qui ressurgissent, au détour d’un prénom, d’une image, d’un mot. Je travaille avec les douleurs d’hier et celles d’aujourd’hui. Les confidences. Et la peur de mourir. Cela fait partie de mon métier.
Mais ce qui continue de m’étonner, ce qui me sidère même, ce qui encore aujourd’hui, après plus de dix ans de pratique, me coupe parfois littéralement le souffle, c’est la pérennité des douleurs d’enfance. Une empreinte ardente, incandescente, malgré les années. Qui ne s’efface pas. »

Avis

Au début du roman, Michka est une vielle dame qui vit seule dans son appartement, encore autonome. Mais elle souffre d’aphasie, c’est-à-dire qu’elle perd ses mots et les remplace par d’autres. Bientôt, elle va devoir emménager dans un Ehpad, une maison de repos.

Grâce au talent de Delphine de Vigan, le personnage de Michka est particulièrement attachant. En tant que lecteur, on ressent la terreur qui est la sienne quand elle comprend qu’elle ne pourra plus vivre seule. Très vite, on s’attache à cette vieille dame qui perd la tête, dont le corps fatigue mais qui garde un esprit très affuté, qui a du répondant et qui ne se gêne pas pour faire des remarques acerbes. Et si ses propos prêtent à sourire, son histoire est aussi triste parce qu’elle a la conscience très nette de ce qui est en train de se passer, des mots qui s’échappent et de sa mémoire qui se perd. Or, malgré son âge, elle a encore un rêve à réaliser

Dans son entourage, deux personnes vont jouer un rôle crucial. Marie, que Michka a quasiment élevée, l’accompagne dans ses démarches, s’assure qu’elle a ce dont elle a besoin, prend soin d’elle comme une petite-fille le ferait avec de sa grand-mère. Et Jérôme, l’orthophoniste qui travaille avec Michka pour espérer retarder l’évolution de la maladie. Le lien qui se met en place entre eux est attendrissant. Le jeune homme recueille les confidences de la vieille dame, l’écoute, l’aide même à réaliser son rêve et fait face à ses réflexions désopilantes. De belles personnes qui s’entraident, sèment le bien autour d’elles, une manière de rendre ce que la vie leur a offert.

Mais si l’aphasie et ses conséquences occupent une grande place dans ce roman, son réel fil conducteur est, comme son titre l’indique, la gratitude. A travers la réflexion que l’on peut avoir sur l’avancée en âge et la dégénérescence du corps et de l’esprit, Delphine de Vigan pose la question essentielle du lien à ceux que l’on aime, de la transmission, elle pointe toutes ces fois où l’on n’a pas remercié sincèrement, prononcé ces paroles importantes qui consolident une relation et les regrets que l’on peut avoir de ne pas avoir dit l’essentiel.

L’auteure, fine observatrice de la nature humaine, pose les mots justes dans ce très beau roman sur la fin de vie, à la fois triste et positif, qui m’a laissée la gorge nouée mais m’a aussi fait sourire.

Ma seule objection tient dans le rapprochement un peu facile entre Jérôme et Marie, que l’on sent arriver de loin.

« Vieillir, c’est apprendre à perdre. […] Perdre la mémoire, perdre ses repères, perdre ses mots. Perdre l’équilibre, la vue, la notion du temps, perdre le sommeil, perdre l’ouïe, perdre la boule. […] Se réajuster. Se réorganiser. Faire sans. Passer outre. N’avoir plus rien à perdre. »


Les gratitudes – Delphine de Vigan – Editions JC Lattès – 2019

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